
Pierre-Yves ZWAHLEN

Bio express
J’ai passé mon enfance à la campagne. Mes parents étaient responsables d’un centre pour alcoolique géré par l’Armée du Salut. Cette grande maison aux allures de prison – s’en était une jadis – était adossée à la forêt et dominait le lac de Neuchâtel. De nos fenêtres, ont pouvait admirer toute la chaîne des Alpes suisses. La beauté du lieu a largement contribué à développer en moi le sens de l’harmonie et un certain goût pour les belles choses. Le revers de la médaille est que nous étions relativement éloignés du reste de la population humaine de notre planète. Pour aller à l’école, ou plus simplement pour rejoindre mes amis ou mes cousins, il me fallait traverser la forêt. C’était une très grande forêt où les hêtres côtoyaient de vastes sapinières sombres et mystérieuses. En hiver, les écureuils, les chevreuils, les lièvres et les sangliers m’accompagnaient sur le chemin de l’école. J’ai aimé cette forêt. Je l’ai parcourue avec délice avec mes chiens, inventant des histoires merveilleuses, nourrissant mon imagination fertile, des lumières, des odeurs et des sons étranges et inconnus qui me parvenaient sans cesse. J’ai rarement eu peur en forêt. J’y ai cultivé le goût de la solitude heureuse. J’ai découvert les joies qu’un esprit ouvert à tout ce qui l’atteint, et qui ne cesse de voyager sur les sentiers improbables de l’imaginaire, peut récolter sur un simple sentier sylvestre.
À l’adolescence, nous avons quitté la campagne pour la ville. C’est à Renens, banlieue ouvrière de Lausanne, que nous avons déposé nos cartons. Le choc de la ville fut intense. Le campagnard que j’étais découvrait, médusé, un univers qu’il avait toujours espéré. Le monde de l’art me fascinait. J’entrepris une formation de photographe dans un petit atelier d’art graphique. Jusqu’alors, mes études n’avaient pas été couronnées d’un franc succès, c’est le moins que l’on puisse dire ! J’avais cette faculté d’être à plusieurs endroits en même temps et rarement là où mon corps se trouvait. Mes professeurs appréciaient peu ma tendance à l’évasion, et leurs questions surprises étaient impuissantes à me ramener à la raison. L’univers que je m’inventais était définitivement plus passionnant que la conjugaison allemande ou les règles du subjonctif.
La photo me permettait de m’exprimer. L’imagination n’était plus un défaut, mais une qualité. On me demandait de magnifier le quotidien, de le dépasser pour tenter d’exprimer la quintessence de ce que je pressentais au-delà des apparences.
Mais un autre appel impérieux était en train de naître en moi. C’était celui de la foi en un Dieu d’amour qui me demandait de lui consacrer ma vie. Je répondis avec enthousiasme sans mesurer vraiment sur quel chemin je m’engageais. L’Armée du Salut, le milieu ecclésial dans lequel j’avais grandi, m’offrit tout naturellement un cadre où exercer mon ministère. Les premières années furent consacrées à des tâches pastorales au Ponts-de-Martel, à Aigle puis à Renens. Ce fut également le temps de l'amour en famille, le mariage avec Evelyne et la naissance de nos deux merveilleux enfants, Nicolas et Natacha.
Ensuite, l’appel de l’écriture me conduisit à gérer les publications de l’Armée du Salut ainsi que ses éditions. Ce furent dix années heureuses à Berne. Dix années de journalisme, de rédaction d’articles et d’éditoriaux. Sans le savoir, j’apprenais mon métier, j’apprivoisais la plume pour les défis à venir. La mort de mon épouse, foudroyée en pleine vie, mit un terme à cette période de mon existence. Elle m’obligea aussi à aller puiser au plus profond de moi, les ressources nécessaires à ma survie et à celle de ma foi.
Le Seigneur m’envoya Danielle, pour me prendre par la main et me soutenir sur le chemin parfois épuisant de la vie. Le deuil avait laissé des traces plus profondes que je ne l’imaginais. L’épuisement, le burnout guettaient. Il me fallut m’arrêter, quitter la direction de Radio Réveil que j’assumais depuis quelques années. La page de ma vie était à nouveau vierge. Sans emploi, je ne savais trop que faire. Le Seigneur me demanda d’écrire chaque jour une prière. « Prières murmurées » était né. Avec lui commençait une grande aventure, la Ligue pour la lecture de la Bible m'offrit de travailler avec eux. Dès mon arrivée, je compris que j’avais trouvé ma maison, mes semblables, des amis, des frères et de sœurs aussi étranges que moi, ingérables, incadrables, mais tellement créatifs !

Le monde de mon enfance

Le Devens, colonie agricole gérée par l'Armée du Salut pour l'accueil de personnes dépendantes de l'alcool.


